Une attention au terrain, au site et aux situations
ce qui signifie arpenter les lieux, les parcourir à différents moments, les représenter pour tenter de les saisir et de les comprendre. Le terrain renvoie évidemment à la forme physique d’un lieu (sa géographie, sa morphologie, sa spatialité), mais aussi à sa forme vécue (l’appropriation ou non des espaces, leur fonctionnement). Cette dialectique entre formes et usages est fondamentale. Elle oblige à inscrire toute action dans un contexte, entendu à la fois comme un site (physique, géographique), comme une situation (un état ou un positionnement), et comme une circonstance (que l’on pourrait rattacher à un contexte social et politique, ou encore à des temporalité – historiques, biographiques, quotidien).
Cette démarche est aussi nourrie par les actions portées au sein de l’association inCittà. L’approche socio-urbaine nous porte à aller à répétition sur les lieux pour en relever les usages, y rencontrer les acteurs locaux et habitants, cartographier leurs récits. Ce sont des moments précieux parce qu’ils nous permettent de recueillir une connaissance fine des situations, de croiser les points de vue, de faire émerger la pluralité et les enjeux. Cela permet aussi d’installer très en amont une démarche de co-construction. Etre attentifs aux lieux, c’est avant tout l’être aux usagers et aux habitants, installer une démarche d’aller-retour, la tenir dans le temps. Ce qui signifie aussi associer des habitants ressources à différents moments de prise de décision, aux réunions sur site et au sein des institutions, afin de rendre cohérente et effective l’idée de participation, mais aussi pour donner à voir le processus de fabrication des projets, permettre une montée en compétence mutuelle.
La mise en résonance de plusieurs échelles
La définition d’un projet de territoire se traduit concrètement à l’échelle du quartier et de l’ilot, du bâti et de l’espace public, et inversement. Il s’agit de considérer l’imbrication des échelles comme un outil de projet : quel paysage dessine un ensemble bâti, qu’est-ce que cet ensemble raconte du lieu, par la manière dont il s’implante au sein du site, ce qu’il en révèle (éléments géographiques, patrimoine ou pratiques en place) et le fonctionnement (usages) qu’il suggère? et inversement, que puis-je percevoir depuis mon logement? quelles typologies bâties et d’espaces publics et privés m’y sont proposées pour quels modes d’habiter? Cette approche est une manière de caractériser chacune des interventions, de proposer un mode d’action spécifique à chaque lieu.
Cette vision multi-scalaire permet de rendre intelligible le déjà-là, en soutenant l’idée selon laquelle révéler ce qui existe constitue déjà une grande partie du travail de projet. L’approche à l’échelle géographique permet de mettre en résonance, d’assembler et de révéler des éléments repérés à petite échelle lors de l’arpentage des lieux, éléments qui pourraient, si l’on reste à petite échelle, être perçus comme fragmentaires.
Dans le contexte d’une urbanisation diffuse, distendue, adaptée avant tout aux déplacements routiers, héritée d’un urbanisme de zonage et d’une accumulation d’initiatives privées et publiques peu ou pas coordonnées au sein d’un projet d’ensemble, dans lequel l’architecte (urbaniste ou paysagiste) est amené à intervenir aujourd’hui, croiser les échelles c’est aussi l’une des manières de redonner une lisibilité aux sites et à la diversité des situations qui les composent, pour ainsi raccrocher des territoires souvent banalisés à leur entité géographique, à une histoire, à d’autres usages, à ce qui participe largement à l’identité (en permanente ré-écriture) d’un lieu.
Décloisonnement disciplinaire
Cette expression est vaste, et est inhérente à la pratique d’architecte. On pourrait parler ici du projet comme d’une entreprise collective, au sens où sa conception et sa mise en oeuvre sont la résultante de la synergie de différents acteurs: l’architecte, le paysagiste, le BET, l’éclairagiste, etc. Au-delà du simple échange, laisser la place à l’autre pour que le projet puisse réellement s’écrire collectivement demande du temps, des expériences communes, une écoute et une compréhension de sa discipline. La pluridisciplinarité ne se décrète pas, elle se travaille, contrainte par des rapports de domination de certains champs sur d’autres, selon les contextes, et par parfois le besoin d’établir une culture commune.
La pratique du projet se nourrie aussi de rencontres.
L’activité menée au sein de l’association inCittà est un fertilisant notoire. Elle permet de changer de point de vue, de faire un pas de côté, de questionner les présupposés, d’ouvrir les horizons. C’est ici le travail avec des sociologues, psychologues, éducateurs spécialisés, géographes et cartographes, qui construit collectivement une vision élargie de la ville et des phénomènes sociaux, des perceptions et des vécus individuels.
L’étroite collaboration menée depuis plusieurs années avec Trajectoires, Clémentine HENRIOT paysagiste, construit en parallèle une vision complémentaire architecte-urbaniste-paysagiste. Cela concerne autant la méthode et l’approche de projet que les sujets abordés.